030 – Chronique/requiem pour un imposteur: « La commedia dell’arte » (le théâtre de la rue)

Attestée en Italie au XVIème siècle, la commedia dell’arte trouve son origine dans les farces du Moyen-Age. La rue, la place publique, est son théâtre. Ses personnages sont issus de la vie publique et caricaturent la société, expiant ses diverses facettes dramatiques… (cliquez sur le lien suivant pour plus d’infos)

La commedia dell’arte, document

Revêtu de mon déguisement, portant le masque représentant un exécutif de l’autorité, j’ai joué mon rôle pendant vingt-cinq ans… S’agissant du plus grand théâtre qu’il soit donné de fréquenter, ses « planches » m’offrirent d’innombrables actes et tableaux divers et variés dans lesquels j’ai pu décliner et improviser mon rôle sur base de thèmes qui sont plus limités que ce que l’on peut imaginer…

Je fis preuve de la plus grande sincérité sous mon déguisement, dont certains imaginèrent qu’il fut ma véritable identité… Inconscients eux-même de jouer un rôle au sein de ce théâtre, ils crurent également pouvoir se réfugier sous leur propre déguisement… La conjonction de ces thèmes et de ces rôles humains participèrent à alimenter les scénarios les plus ubuesques qui soient…

Perçant le secret terré sous certains habits de couleurs chatoyantes ou ternes, je me dévêtis moi-même partiellement, offrant un acte dédié à la compassion, ce qui ne m’exonéra pas d’incompréhension et de stupeur à l’égard de certains personnages se donnant en spectacle sur la place…

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Je me débattis sous mon déguisement dans lequel je me sentais étriqué mais qui me collait à la peau, tant et si bien qu’il m’arrivât d’omettre de le déposer, intriquant mon « moi » et mon « personnage »…

Je voulus informer le directeur du théâtre, le metteur en scène, le régisseur… En vain… Le spectacle devait impérativement être joué et il fut inconcevable de mettre un terme à la tournée voire de simplement en repenser l’approche des personnages…

Le public n’attend pas, il revendique le spectacle et exige que les acteurs se mettent en scène, les couvrant quelques fois d’invectives, de fruits et légumes avariés, le tout saupoudré de grains d’amertume, de colère ou de railleries… Le public a toujours raison et coiffe allègrement une minorité silencieuse, laquelle perçoit avec lucidité la saveur de l’ironie…

Quittant la scène non sans avoir notifié mon sentiment d’injustice ainsi que le manque de discernement dont font preuve certains des acteurs et des membres du public, j’ai arraché mon vêtement, tant il était imprégné de la sueur de mon âme qui exsudait son dégoût, son impuissance et tentait d’éroder l’avatar qui me phagocytait…

Le pantin quitta le théâtre par une porte dérobée, sous les huées, errant nu quelques temps, dans l’incompréhension générale…

Traversant une forêt sombre et inhospitalière, il ne croisa que peu de monde, mais ceux-ci ne s’offusquèrent point qu’il fut dévêtu… On lui offrit même une toge en lin, de la même teinte que son âme, âme qui se mit à se réchauffer et qui trouva du plaisir à s’installer en alignement avec son être dont l’égo s’était prostré en lui…

Lassé de rejouer sempiternellement le même rôle, il rêvait d’en incarner un plus grand que lui… Il contacta quelques directeurs de troupes ou de théâtres de rue, mais sans succès… Aucun de ces rôles ne lui correspondait vraiment… Il pensa même revenir sur ses pas, mais quelqu’un d’autre avait revêtu son déguisement et avait pris la suite, à l’insu du public qui était trop avide du spectacle lui-même…

Tapi dans l’ombre, il comprit qu’il n’était pas associé à son personnage. Le rôle de sa vie était le seul qu’il n’avait jamais vraiment envisagé d’incarner… Il ne lui restait plus qu’à écrire le texte… Il avait tant fréquenté le monde du spectacle qu’il se rendit compte que son sens de l’observation en était aiguisé, et cela l’inspira…

D’acteur, il devint auteur et scénariste… Il ne lui restait qu’à rencontrer un metteur en scène à la hauteur de ses ambitions, lesquelles ne revêtaient de prétention que celle d’exister en son âme et conscience…

Lors de la première de son nouveau spectacle, le public fut circonspect et reconnut l’acteur déchu qu’il fut antérieurement… Mais quelque chose avait changé, le public s’en aperçut… Emanant une autre énergie, l’auteur invitait le public à interagir, à émaner lui aussi sa propre énergie, ce qui suscita quelques rumeurs dans la salle… Car il ne s’agissait plus de jouer sur la place publique, mais de choisir un siège confortable dans une salle privée où seuls avaient pénétré des spectateurs délibérés et qui avaient acheté leur billet…

Cette implication de tout un chacun participa à la renommée de ce spectacle, qui, peut-être, allait interpeller un éventuel producteur, ce qui pourrait avoir comme effet de jouer le spectacle dans une salle plus grande afin d’inviter un plus grand nombre de spectateurs volontaires… Non pas pour flatter l’égo, mais pour offrir plus de conscience et de partage…

Bravo l’artiste, et merci…

Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »,

25 mai 2020

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