Juin 1988, un samedi après-midi sur le quartier rive gauche de la ville de Huy, j’ai 15 ans. Je déambule rue Saint-Pierre où a lieu le week-end en folie comme chaque année. J’assiste à une démonstration spectaculaire des sapeurs pompiers de Huy casernés dans cette même rue.
J’ai toujours aimé les pompiers. Je pénètre dans l’ancienne caserne, au n°43. Les camions, ambulances et divers véhicules d’intervention sont stationnés collés serrés, compte tenu de l’espace disponible. Un pompier s’approche de moi et me fait visiter toute la caserne, chaque véhicule. Il m’explique les missions des pompiers, me montre les tiroirs où sont stockées toutes les cartes relatives à chaque itinéraire sur le territoire couvert et consignant celui le plus rapide et un autre alternatif…
Ce pompier s’appelle Laurent… Il est surnommé par certain de ses collègues Rachid… Il ressent mon émerveillement, mon envie et me présente le commandant de la caserne, monsieur Jean-Louis CAHAY, lequel me reçoit dans son bureau, très amicalement, me briefant au sujet des étapes à franchir jusqu’aux tests de sélection, dès que je serai majeur et que j’aurai accompli mes obligations de milice, muni de préférence du permis camion…
Me prenant en sympathie, Laurent m’invitera même chez lui, à l’époque, afin de me présenter sa collection de casques et képis divers, de pompiers de partout, ainsi que des pucelles (qu’on appelle « gouttes » aussi). Il attisait mon feu intérieur…
Je ne deviendrai jamais pompier, en fin de compte, mais aujourd’hui, 32 ans plus tard, je bois le café avec « Rachid », chez lui qui est retraité depuis une dizaine d’années… Il m’appelle encore « gamin », et j’aime bien… Il a 65 ans, et en a vu de toutes les couleurs ces derniéres années en particulier… Et oui, Laurent, « la roue tourne, on est peu de chose », c’est toi qui me l’as dit en 2015, alors que tu étais convalescent, des suites d’un AVC dont tu te sors bien, quand on y pense…
Laurent BERTRAND commence à travailler vers l’âge de 20 ans, dans le privé, soit dans la construction ou ailleurs, il se cherche… Il entre à la RTT (Régie des Télégraphes et Téléphones, les camionnettes oranges, pour ceux qui s’en souviennent…). Il y restera 10 ans, jusqu’à l’âge de 34 ans…
« Pendant mon travail, je voyais souvent passer les pompiers en ville et je me disais que ce travail devait être très varié… J’y pensais souvent… Je ne connaissais pas de pompier mis à part Jean-Jacques ROCHER avec qui je faisais de la plongée, aux Requins d’Andenne…
Comment as-tu fait, dès lors?
« J’ai écrit à la commune de Huy quasiment tous les six mois, jusqu’à ce qu’on me convoque aux tests de sélection que j’ai réussis. Nous étions en 1986…
Je suis devenu sapeur pompier volontaire jusqu’en 1990, soit pendant quatre ans, après quoi je suis devenu sapeur pompier professionnel… J’y ai travaillé pendant 25 ans, jusqu’en 2011, date à laquelle j’ai pu prendre ma pré-pension… »
Tu as vécu le grand « déménagement » de la rue St Pierre à la nouvelle caserne de Tihange, beaucoup plus moderne et spacieuse. Tu peux m’en parler?
« Oui, sans problème. Le quartier St Pierre était animé et tous les riverains nous connaissaient, c’était agréable, on s’arrangeait avec tout le monde… Souvent, on taillait la bavette sur le devant de la caserne qui était beaucoup plus étriquée que la nouvelle. Les véhicules étaient soigneusement stationnés au centimètre tant l’espace disponible était limité…
En 1997, ce fut le grand déménagement… certains commerces de la rue St Pierre avaient déjà fermé, l’ambiance était déjà différente et le fait de prendre nos quartiers à Tihange, rue de la Mairie, a bousculé beaucoup de nos habitudes… Et puis nous étions loin de tout, hors ville, et cela nous a perturbés au début… Quand je repense qu’au début de ma carrière, la voiture de commandement était une Renault 18 et quand je vois l’évolution des technologies actuelles, des véhicules, des structures, des procédures, et bien on peut dire que les temps ont changé (rire)… Ce n’est pas toujours facile de s’adapter…
Mais j’estime que j’ai eu une vie bien remplie et variée, surtout chez les pompiers…
Parle-moi d’une intervention qui t’a spécialement marqué, si tu en vois une…
« Tu sais bien, il y en a eu tellement… Et puis au fil des années, je n’ai plus que des « flashs »… Surtout depuis que je ne travaille plus, cela s’estompe…
Je me rappelle, il y a un paquet d’années, une équipe intervenait sur l’autoroute E42 pour un feu de camion… On avait un véhicule de désincarcération de marque « Dodge », un beau véhicule… Ce « Dodge », qui était récent, je suis sûr que tu t’en rappelles, a été lui-même percuté par un camion civil et il a pris feu… J’étais chauffeur citerne, de garde à la caserne, et on m’a appelé en renfort sur place pour éteindre un de nos propres véhicule, ce qui n’est pas courant… Heureusement, il n’y a eu aucun blessé… »
Que reste-t-il de tout cela, aujourd’hui, Laurent?
« En retraite, je suis beaucoup plus seul, ce n’est pas marrant tous les jours, mais je dois dire qu’il existe encore une belle solidarité… Dernièrement, en avril 2020 donc, j’ai déménagé une fois de plus, en plein confinement… Et bien j’ai pu compter sur une bonne dizaine de pompiers pour m’aider et même une des secrétaires… Sans eux, je ne m’en serais jamais sorti… Je les remercie encore, il ne m’ont pas du tout oublié, c’est une belle équipe… »
Pourquoi te surnomme-t-on « Rachid », en fin de compte?
« Ooh, ça remonte loin… En discutant avec un collègue, dans le feu de l’action, il avait oublié mon prénom, et comme j’étais bien bronzé et que j’avais une moustache généreuse, il m’a appelé « Rachid », comme cela, sans réelle raison… Depuis, c’est resté… »
Et ta collection de casques et de képis, où est-elle à présent?
« J’ai tout donné, petit à petit, à qui en voulait… C’est mon fils qui possède mon premier casque, j’ai conservé mon dernier… »
Laurent m’aura beaucoup inspiré, et à défaut d’avoir pu devenir sapeur pompier moi-même, on a souvent travaillé ensemble, avec ses collègues que je connaissais tous jusqu’il y a peu… Certains ne sont plus de ce monde… Du fait de la corporation dont je proviens, j’ai pu approcher mon rêve de gosse, très souvent, c’est déjà ça… Nous en avons vu, des horreurs mais nous avons aussi vécu de beaux moments, ce que me confirme « Rachid »…
C’est vrai que la roue tourne, qu’on est peu de chose… Alors je voulais mettre à l’honneur mon ami de plus de 30 ans, ainsi que la corporation des sapeurs pompiers…
Merci Laurent, merci Rachid, pour ton amitié fidèle, je serai toujours à tes côtés…
Merci pour ta carrière au service des autres…
Merci aux pompiers, qu’aucune machine ne pourra jamais remplacer,
Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »,
16 juin 2020,