Ecrire, bloguer, chroniquer, fût-ce en amateur, est vecteur de rencontres humaines singulières et riches…
Nathalie BOUTIAU en fait incontestablement partie. J’ai d’abord rencontré son talent d’écriture et sa profondeur d’âme, en lisant « Tout le monde sait » (éditions académia lien web), roman édité en 2019, à défaut d’avoir pu acquérir (confinement oblige) son dernier ouvrage « Ainsi court le chemin« , récit dont je possède un exemplaire dédicacé depuis le samedi 22 août 2020, date à laquelle L’Atelier du 2A organisait en son sein une lecture musicalement accompagnée en soirée, mais je vous en parle plus loin dans cette chronique.
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Née en 1966 à Wilrijk (Anvers), ayant vécu plusieurs années à Mbujimayi (république démocratique du Congo – Kinshasa), institutrice primaire en région liégeoise, correspondante de presse à « Vers l’Avenir » (culture), elle est auteure et n’en est pas à son coup d’essai (sans jeu de mot)…
« Tout le monde sait » est son troisième roman, et non des moindres, à mon humble avis. Nathalie possède une qualité humaine essentielle à mes yeux, elle s’interroge sur le sens de la vie, sur sa fragilité, son intensité, son « éphémérité ». Elle est animée par une plume sensible et profonde, sincère mais avec tact et humilité, ce qui est l’apanage des grandes âmes…
Le pitch: « Duni est né en Tchétchénie, à l’époque de la guerre débutée à l’aube du 21ème siècle. Il a fui très jeune avec ses parents vers la Belgique, ne conservant quasiment aucun souvenir des atrocités vécues dans son pays d’origine. Laurence, sa compagne, fut témoin par parents et médias interposés du Tsunami thaïlandais qui ravagea plusieurs pays et jeta dans le désarroi de nombreux orphelins. Ses parents, à défaut de pouvoir en adopter un, parrainent une petite fille Thaïlandaise durant des années. Cette soeur « épistolaire » grandit avec elle à distance. Laurence devint journaliste pour pouvoir témoigner des incohérences et atrocités du monde…
Initiée par Amnesty International et Reporters sans frontière, une quête de quatre-vingts jours emmènera les deux jeunes adultes à travers le monde, recueillir des témoignages et des traces de nombreux conflits et fléaux passés ou actuels, et enfin publier leurs récits… Mus par le désir de promouvoir la vie et l’amour qui peuvent resurgir de terres et de coeurs profondément et parfois sauvagement meurtris, Duni et Laurence vont ainsi interpeller l’Humain sur sa condition fondamentale, sans chercher à déterminer ce qui est juste ou ne l’est pas… Ce qui est, est, et il faut renaître, encore et toujours…
Nathalie BOUTIAU n’hésite pas à nous faire ressentir les ambiances et odeurs nauséabondes exhalées des évènements survenus aux confins de l’horreur humaine, de la guerre, de massacres, génocides, dont la morale contemporaine tenterait de censurer les détails, alors que de là où la vie a été bafouée à son paroxysme, peut renaître l’amour, l’espoir, la vie, dans tous ses paradoxes et ses contrastes…
Ma réflexion à ce sujet est que, tout embryon de haine, de lutte de pouvoir, de domination, d’asservissement quel qu’il soit, génère un manque d’humanité dans le chef de son instigateur. En ce compris dans nos sociétés occidentales riches et industrialisées, issues d’un essor économique lui-même succédant à des guerres dont nous foulons quotidiennement le sol portant les traces fantomatiques d’atrocités qui commencent à échapper à la conscience collective…
Nathalie BOUTIAU, si elle mène une « quête » (euphémisme), c’est celle de tenter d’éveiller les consciences et d’entretenir le souvenir suffisamment pour que nous ne nous autorisions pas à concéder une once de notre humanité, jamais… Cette utopie, je la partage, quitte à être qualifié d’aliéné…
Extraits choisis: « Tout le monde sait » (N. Boutiau – récit – édition académia)
- (page 27) « Lorsque survient la mort, si proche, si brutale, si catégorique, ne laissant d’autre alternative que celle de l’accepter car nous n’y pouvons rien, on voudrait juste parler de la vie et s’interroger sur le sens à lui donner… »
- (page 30) « Les hommes sont ainsi faits qu’ils perçoivent le beau, et donc le bien, avec plus de retenue après qu’ils aient pleuré ou beaucoup souffert. Et c’est alors qu’ils comprennent la fragilité des choses, leur caractère éphémère… »
- (page 62, Duni parle) « – L’esprit humain est très changeant, très fragile et contrairement à ce que pensent certaines personnes, ce ne sont pas nos forces qui dictent nos pensées… »
- (page 76) « C’est le coeur qui décide de la beauté d’une phrase. Comme c’est le coeur qui dirige l’écriture pour autant qu’elle soit intuitive. »
- (page 99) « En temps de guerre, on ne fait que rarement la différence entre le plus faible, le sans défense et celui qui peut encore se battre ou comprendre, pour autant qu’il y ait quelque chose à comprendre. »
- (page 116) « La guerre oublie tout jusqu’à la plus élémentaire des convenances, c’est-à-dire le respect de la vie. » – « Ce n’est pas tant l’enfant (celui qu’il fut) que Duni pleure, c’est la bêtise humaine, l’incapacité de l’homme à aimer suffisamment la vie et à lui préférer l’argent, le pouvoir et la destruction ».
Cet ouvrage a fait l’objet de lectures commentées au Fort de Huy, le 22 août 2020 dès 16 heures, en compagnie de l’auteure notamment. Je n’ai pas assisté à cet événement « déambulatoire », malheureusement.
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Je n’ai cependant pu résister à l’envie d’écouter les lectures de Viviane DE MUL et de GABA (Jean-Luc GERLAGE, objet de la chronique n°27 sur ce même blog: Chronique GABA) à L’Atelier du 2A, le même soir à 20 heures, accompagnées à la guitare par le sieur Bernard RONVEAUX, et ce, en présence de l’auteure de l’ouvrage récit « Ainsi court le chemin » (éditions académia lien web) que je voulais rencontrer de-visu…
Cf le lien presse suivant (Vers l’Avenir): Lecture à Avignon – Vers l’Avenir 7/5/20
Ce tout dernier ouvrage est un récit de textes adressés secrètement par l’auteure à son père, dans l’enfance, et parfois réitérés quelques décennies plus tard, alors que ce dernier ne serait plus en mesure de les entendre ou de les comprendre, dans son « âge d’Or » (encore un euphémisme)…
Dans l’intimité singulière de l’Atelier du 2A, Bernard RONVEAUX souligne à la guitare les mots délicats et splendides de Nathalie BOUTIAU, mots incarnés dans la voix rauque et feutrée de GABA (Jean-Luc) qui les sublime et berce le public d’une vingtaine de personnes… Viviane DE MUL intervenant régulièrement au même titre, de sa voix cotonneuse, sur de courts textes extraits eux aussi de l’ouvrage…
J’aperçois Nathalie, assise au pied de l’escalier de bois jouxtant les orateurs distants de deux mètres à peine… L’expression de son visage dessine les émotions exacerbées par la voix et le ton juste de GABA, Viviane et les douces notes de Bernard… C’est beau, c’est émouvant, c’est vrai, sincère, cela nous pose à tous des questions intérieures, cela nous parle, nous « émotionne », me confiera Thierry CAYMAN…
Le lieu est singulier, non formaté, et propice à cette ambiance hors du temps… Une parenthèse temporelle…
Le temps… Souvent évoqué par la délicate plume de Nathalie BOUTIAU, le temps qui passe, qui s’égrène, qui tire et tisse le fil de soie (sic) de la vie, du lien humain… En l’occurence, le lien avec son père, qui s’exprimait peu à son égard, avare de gestes et de mots tendres… Alors que l’âge avancé de ce dernier l’emmène lentement sur la fin du parcours, la fille se rapproche physiquement de lui dont elle prend soin, comme on prend soin d’un enfant… Nathalie évoque le cycle de la vie, comparant les yeux d’un nourrisson à ceux de son père marqués par l’âge… Pourquoi tant d’années pour combler la distance, écrit Nathalie…
Préciosité, intensité, fragilité, éphémérité, autant de paradoxes que revêtent ces trois lettres: « VIE »… Etre vivant jusqu’à la toute dernière minute… (sic) Vieillir, fuir le trop plein de vie à porter… (sic)
Les lectures terminées, les cordes de la guitare de Bernard RONVEAUX ayant cessé de vibrer mélodieusement, un long silence plane sur l’Atelier 2A… L’émotion, la vibration intérieure, celle-là, est perceptible… Quel moment rare et précieux nous venons de vivre…

De gauche à droite: Gaba, Bernard Ronveaux, Nathalie Demin, Viviane De Mul, Thierry Cayman, Nathalie Boutiau et moi-même.
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J’accapare l’auteure quelques minutes, lorsque la tension émotionnelle est retombée et que l’atmosphère retrouve un peu de légèreté, mais non moins de profondeur:
– Nathalie, tu as vécu plusieurs années en Afrique (Congo), cela a-t-il influencé ton courant de pensées, ta sensibilité?
- « En effet, j’ai vécu en Afrique de mes six mois à mes huit ans. J’ai suivi mes parents. Mon père était dessinateur industriel et il voyageait beaucoup. Je ne sais dire si cela a influencé ma pensée, peut-être, je ne sais pas… Dès que j’ai été en âge de penser par moi-même, vers 12-13 ans, j’étais déjà indignée par rapport au « Mal » qui peut sévir, toute forme de mal… »
– J’imagine que pour écrire « Tout le monde sait », tu t’es inspirée en partie de faits ou d’histoires réels?
- « Le personnage de Duni est directement inspiré d’une personne Tchétchène existant réellement. Certains faits sont tout à fait réels, en effet… »
– Tu es enseignante, encore à l’heure actuelle?
- « Oui, j’enseigne toujours, en primaire, et j’adore par exemple avoir des élèves de diverses origines… J’aime les cultures, les différences, cela m’a toujours inspirée… »
– Penses-tu que le « Monde d’après » (expression à la mode actuellement), est une utopie? Peut-on revenir aux fondamentaux, dans nos sociétés?
- « J’essaie de pousser les gens au devoir de réflexion, d’interrogation, au sens de la vie, à considérer les personnes vulnérables… Je suis persuadée du rôle qu’ont à jouer les artistes, qu’il faut susciter du débat, des questions, qu’il est vital de toucher notre part humaine… Il ne faut jamais couper le lien, le fil de soie, le fil de soi…
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Après avoir vécu et ressenti un tel égrégore émotionnel, comment douter encore du potentiel humain qui réside en chacun de nous… L’espoir existe, l’amour aussi, insuffisants à balayer nos questionnements existentiels, mais en fin de compte, les réponses sont-elles absolument indispensables?
Personnellement, j’avais commencé à perdre foi, arrivé à une échéance semble-t-il inéluctable, il y a de cela une année… Heureusement, des personnes telles que toi Nathalie, ont contribué à la restaurer…
Merci Nathalie BOUTIAU, pour ton âme et ta plume,
Merci à l’Atelier 2A, Gaba, Viviane, Bernard,
Merci pour le lien, pour le partage,
Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »,
23 août 2020,