Ce 17 avril, mon père aurait eu 71 ans, s’il ne s’était désincarné trois ans plus tôt…
17 versus 71, sont des nombres « miroirs », et aujourd’hui, je l’imaginais me regarder…
Lui non plus n’aurait certainement pas supporté les conditions ubuesques de vie actuelle dont nous souffrons depuis plus d’un an… Il ne supportait déjà pas la vie d’avant…
Depuis « Le puits du fou » (cf billet n°055 sur ce même blog), j’ai fait le grand écart psychologique, ce qui m’encourage à vivre car aucun jour n’égale un autre…
Laurence, la femme qui me connaît si bien et qui m’aime malgré tout, me suggère une randonnée… Son corps lui dit « non » mais elle sait le bien que cela nous procurera…
Je suis du même avis, bien que mon corps lui aussi ne m’y invite pas davantage, encore endolori par une nuit de sommeil en demi-teinte…
Un repérage internet antérieur nous met d’accord sur Marche-les-Dames (Namur), là où Albert Ier périt. Dix kilomètres d’une ballade de difficulté moyenne dont deux à parcourir sur les crêtes calcaires surplombant la Meuse…
Le camp d’entraînement militaire de nos paras-commandos sera notre point de départ.
Météo engageante, sac à dos, boissons, tartines, clopes (ben ouais…), Go!
L’ascension nous dérouille, la forêt nous étreint, les oiseaux piaillent, la nature nous accueille en son sein, bienveillante, odorante, charnelle… Une paix immense pénètre chaque cellule de mon corps à mesure que je marche, et mon âme prend les commandes, ce que j’adore ressentir… Je vis intensément chaque seconde, chaque battement de mon cœur…
Au détour d’une crête, à cent mètres au-dessus du bassin mosan éclatant, un étau enserre ma poitrine lorsque nous apercevons deux câbles tendus parallèlement d’une falaise à l’autre sur une centaine de mètres, nous rappelant les terrains militaires, cadre naturel propice aux exercices de nos paras…
Arpentant les sentiers de ce havre de paix hissé à 180 mètres d’altitude, digérant notre lunch-packet, nous redescendons vers la plaine, au pied de ces majestueuses, et plusieurs centaines de fois millénaires, parois rocheuses colonisées par les nombreux adeptes de la varappe, tels des fourmis escaladant une tomme de fromage…
Le halage nous mène de la rade de plaisance de Beez vers notre parking. Une Renault 4L exhale un parfum de nostalgie, ce qui ajoute à la plénitude de l’instant… Le « Don Quichotte« , amarré au quai, nous salue tel un vieux marin fatigué mais à l’oeil encore vif…
J’aime à penser qu’il s’agit d’un nouveau clin d’oeil dans ma journée, raisonnant en moi avec un écho évoquant le vent dans les haubans de mon navire intérieur… A cet instant, je me sens légitime, en harmonie avec les éléments…
Au terme de cette randonnée bucolique, sur un bâtiment militaire en moellons du pays longeant les voies ferrées, je lis cette maxime régalienne: « Dura Lex, Sed Lex » (la Loi est dure, mais c’est la Loi).
Je m’immobilise devant un tel paradoxe, semblant tellement abrupt, à l’instar de ces falaises rocheuses qui, elles, n’en ont cure… Comme un rappel à la réalité, cette phrase latine me laisse pantois… Mais quelle Loi? Celle des Hommes, énoncée par une minorité d’entre eux et destinée à assujettir le plus grand nombre de leurs frères et soeurs? D’autant qu’à l’époque originelle de ce Mantra rigoriste, la suprématie masculine était admise… Nous sommes pourtant bien au lieu qui sous-tend que « Marchent les Dames »…
Pour ma part, il est hors de question que qui ou quoi que ce soit ne ruine ce sentiment profond qui m’habite en ce jour, et dont sûrement demain ne subsisteront que des volutes orgasmiques dispersées par la bise des vicissitudes de ma vie…
Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »
17 avril 2021
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