


Dimanche 25 septembre 2022, 11h50, nous stationnons notre carrosse sur le parking de l’hôtel du « Cap Hornu », sur la commune de Saint-Valery s/Somme, pour la troisième fois ces dernières années…
La marée haute est annoncée vers 12h15 avec un coefficient avoisinant 94 (100 correspondant à une grande marée), nous sommes dès lors impatients de contempler ses effets sur le chenal de l’estuaire de la « Somme », là où il offre, deux fois par 24 heures, le spectacle occasionné par la puissance des courants marins « aspirant » les frêles esquifs, agrippés à leur amarre, vers l’amont de la « Somme » dont le cours se jette dans l’une des plus belles baies d’Europe voire du monde…
Nous ne nous lassons jamais de la féérie des éléments naturels que l’humain s’obstine à tenter de contrer, vaille que vaille, de manière très temporaire… Ces éléments dont la puissance et la magnificence sans scrupule bouleversent de manière récurrente les conditions de la vie humaine qui sont, à l’échelle de la planète, finalement assez dérisoires, n’en déplaise à certains de ses occupants les plus réfractaires et impétueux…
En 2017, avec Pierre (mon fils), nous avions pu nous aventurer sur les eaux calmes et estivales de la baie, à bord du « Commandant Charcot III », au coucher du soleil, durant une heure, à marée haute, salués çà et là, par quelques phoques et veaux marins qui prolifèrent à nouveau dans ces eaux depuis une dizaine d’années…



La vue imprenable sur la baie, depuis le « Calvaire des marins », sur les hauteurs de la vieille ville médiévale de « Saint-Valery », augure d’un séjour sans fin renouvelé en ces lieux mythiques… La chapelle rend hommage aux marins péris en mer…
Un godet au sympathique bar « Nanouchka », quai Perrée, nous permet de soulager nos gambettes une petite demie heure…
Ayant parcouru quelques 14 km à pied en ce premier jour, nous nous changeons à l’hôtel et nous nous repaissons à « Le Crotoy », en vis-à-vis sur l’autre côté de la baie, de notre lieu de villégiature, en terrasse couverte, au restaurant « Le Commerce », place « Jeanne d’Arc », pour un repas de la mer…
Jeanne d’Arc fut emprisonnée, au XVème siècle, durant un mois, au château de « Le Crotoy ». Une statue témoigne de ce pan d’histoire sur la place bordant le chenal du port.
Lundi 26 septembre 2022, le ciel est maussade et menaçant, ce qui n’altère que peu notre envie de randonner. La « pointe du Hourdel« , lieu privilégié pour l’observation des phoques gris et des veaux marins, offre également un très beau spectacle sur les marées envahissant la baie ou à l’inverse, sur une zone d’exondation spectaculaire découvrant d’immenses bancs de sable à marée basse.


Une pluie battante nous contraint à rebours, au troquet « La Pointe du Hourdel », où nous dégoulinons littéralement sur le carrelage du lieu dont les châssis de la véranda versent quelques larmes sous l’intensité des trombes d’eau s’abattant tel un déluge…
La météo capricieuse, sans doute rongée de scrupules à notre égard, débarrasse le ciel de ses nues encombrantes et le soleil perce par rais épars… Nous stationnons cette fois au lieu dit du belvédère, sur la route de « Le Crotoy », peu avant le noyau urbain, en bordure du « schorre », partie du fond de la baie inondée uniquement aux grandes marées (le « slikke » étant la zone vasière recouverte deux fois par jour).
Une superbe promenade de plusieurs kilomètres et menant au port sillonne la baie sur une digue artificielle séparant à gauche, le « schorre » parcouru de nombreux chenaux salins, et d’autre part, d’un bassin de rétention d’eau de mer accumulée à marée haute et relâchée par deux énormes vannes deux heures après le pic de haute mer. Ce procédé permet de contrer l’ensablement lent et progressif de la baie au fils des ans en drainant le chenal du port…
Cinquante ans en arrière, la superficie de la baie était alors de 200 km carrés contre 70 km carrés aujourd’hui, ce qui justifia cet aménagement colossal…



Pause nécessaire apéritive au « Mado », quai Léonard, bar ouvert sur l’extérieur mais abrité, avec vue sur la baie… Un bon moment convivial où nous rencontrons même des copains hutois. Il faut dire que les belges aiment cette région…
Lors de notre retour vers le parking, via la même digue qu’à l’aller, l’averse nous « poursuit », et le contraste pluie/soleil nous offre deux superbes arcs-en-ciel qui nous ravissent, au coeur de ce biotope extraordinaire…
Notre choix se porte ce soir-là sur Saint-Valery, pour le repas un peu gastronomique, à « La Ferte », dans la rue du même nom… Un régal, même si le lieu est bruyant lorsqu’il y a du monde…
Mardi 27 septembre 2022, troisième et dernier jour. Après un copieux petit déjeuner à l’hôtel du « Cap Hornu », check-out effectué, nous retournons à la pointe du « Hourdel » où notre première ballade avait été avortée pour cause de drache internationale…
Le coefficient de marée est de 97, le ciel couvert en grande partie et le vent est soutenu. Ces facteurs sont propices au spectacle magistral de cette grande marée. Les creux en mer de plusieurs mètres de hauteur sont impressionnants, presque chaotiques…
Le courant d’eau salée se rue littéralement dans la baie sous nos yeux éberlués… Là où nous marchions quelques minutes plus tôt des vagues s’abattent sur les millions de petits galets caractéristiques du lieu, dans un bruit agréable mais assourdissant qui s’apparente à celui d’un gigantesque bâton de pluie…
Les immenses bancs de sable sont engloutis inexorablement et sculptés à chaque marée, ce qui modifie la topographie de cette nature fantastique, ce dont est témoin quotidiennement depuis quatre-vingts ans le « Blockhaus » de la seconde guerre mondiale qui peine à résister aux assauts du temps et des éléments dans une très lente agonie…


Parlant de la seconde guerre mondiale, j’aurais pu évoquer la première, lors de laquelle les gouvernements français et britanniques « recrutèrent » plus de 150.000 travailleurs chinois aux fins de travaux de labours, d’ensevelissement des dépouilles des soldats tombés au front, et travaux ingrats et divers de ce genre… Une bonne partie d’entre eux périrent de la grippe espagnole et on considère que 2000 à 10.000 de ces hommes restèrent vivre en France après la fin de la guerre… 842 de ces travailleurs chinois sont inhumés à « Noyelles » (entre « Le Crotoy » et « St Valery ») où un cimetière chinois d’un « Commonwealth » particulier leur rend hommage en pleine campagne…
Plein les mirettes, le coeur ravi et un peu lourd de quitter ces paysages, nous regagnons la Belgique, chacune de nos cellules bien iodée et vibrant de cette communion avec la Nature…
Je me sens privilégié de pouvoir connaître de tels moments dans la vie, et de pouvoir être conscient que nous ne contrôlons que très peu de choses…
C’est bien la Lune qui, à 386.000 km de la Terre, influe sur les marées…
Un arc-en-ciel, cela n’existe pas matériellement, or, nous le voyons, le percevons, et il apparaît même sur les photographies…
L’estran (zone de limites maximales et minimales des marées) est l’objet de milliards d’interactions biologiques et biochimiques en permanence, et cette alternance de flux et reflux d’eau salée est source de vie dans un rythme incessant dont l’intensité varie en fonction d’éléments qui nous échappent complètement, nous, les humains…
Notre corps est lui-même sujet à des milliards d’interactions, rythmées elles aussi, et cela se produit presque à notre insu…
La pleine conscience ne demande pas d’effort mental, c’est même tout le contraire… Quel que soit votre (notre) problème, il est dérisoire… Cela peut paraître difficile à entendre (ou plutôt à lire), mais c’est cette évidence qui rend la vie belle, ou en tout cas possible…
Le mental est une prison que nous bâtissons, et nous croyons que cette réalité que nous pensons, nous la vivons…
Et pourtant, les arcs-en-ciel, nous les voyons bel et bien…
p.s.: toutes les photos sont de mon propre chef.
Vincent Poitier, alias « le pensiologue »
29 septembre 2022
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