108 – Chronique salée: « Le marnage de la vie », an zee, Oostduinkerke (Westhoek)

Des limites méridionales belges, nous avons entrepris avec Laurence de traîner nos bottines à celles septentrionales, léchées par la Mer du Nord. Nous avons marché plus de vingt kilomètres sur nos deux journées de visite.

Ayant posé notre petite valise pour la troisième fois au Domaine du Westhoek (Oostduinkerke), implanté à quelques cinq cents mètres du littoral, dans un cadre « vintage » mais très calme, entouré de dunes de sable, notre coeur palpite lorsque nous apercevons l’immense étendue d’eau salée à laquelle le soleil radieux confère quelques couleurs exotiques…

La marée est haute, un vent très léger nous caresse les joues, nous marchons sur la digue qui s’étend sans fin devant nous. Peu de lieux offrent à ce point la possibilité de perdre le regard dans trois directions simultanées…

Mes pensées font comme les vagues, elles fluent et refluent, s’échouant sur le sable, nivelant toutes les petites imperfections du sol meuble de ma conscience…

Se retirant lentement, la mer découvre la zone d’exondation de sa plage durant six heures, influencée par les révolutions lunaires inéluctables et ce, depuis des temps immémorables… La vie est un rythme que rien, absolument rien, ne peut contrarier, ce qui me ravit…

Meilleur moyen d’accéder au « large » sans se mouiller, emprunter une des deux estacades en bois constituant l’accès au chenal du port de Nieuwpoort par lequel se croisent une foule de bateaux de différents gabarits…

Le lendemain matin, « de Kust » nous exhibe son estran de tout son soûl… Nous marchons à marée basse, Laurence les pieds dans l’eau fraîche… La plage s’est entièrement dénudée de son manteau aqueux et salé, découvrant quelques mollusques échoués, sous nos yeux médusés… Les brise-lames couverts de mousse verdâtre ont quitté leur « apnée » cyclique… Les oiseaux se repaissent de ce que leur offre ce biotope particulier vivant grâce au marnage…

La nature respire lentement, imperturbable devant notre condition humaine dérisoire, et offre ce dont ont besoin toutes les espèces animales et végétales vivant de photosynthèse oxygénique (les algues)…

L’écume ocre sinuant à la limite ou meurent les vagues me rappelle la chanson de Daniel Balavoine (« Tous les cris les sos »)… A cet instant, le seul fait d’être en vie, de respirer, de sentir, de voir, de ressentir, me suffit… Le sens de la vie serait la vie elle-même… Puisque tout n’est que question de rythmes et de cycles, pourquoi se prendre la tête…

Je regarde la femme que j’aime, ses cheveux au vent, et je me sens bien… Il me semble qu’elle aussi…

L’estacade en bois a toujours les pieds dans l’eau, mais on peut voir ses chevilles verdies et érodées par les éléments salés et iodés… Depuis la plage, nous gravissons les quelques marches du brise-lame et de l’escalier en bois permettant l’accès latéral à la structure au squelette scoliosé par le temps…

Quelques minutes plus tard, il n’est plus possible de reculer, l’eau ayant déjà recouvert nos pas dans le sable et attaquant les deux premières marches du « boudin » de pierres…

Nous nous asseyons et assistons durant près de trois quarts d’heure à la marée montante… Ignorant tout de notre présence, la mer engloutit à vue d’oeil le plancher costaud par lequel nous sommes parvenus à notre point d’observation et d’émerveillement… L’air chassé par la pression de la houle, par dessous les traverses de bois, frétille bruyamment comme un dernier souffle haletant avant la noyade…

Une des énormes poutres cahote dans les flots, tentant de résister à la redondance du phénomène naturel que l’Homme voudrait maîtriser par des moyens techniques pharaoniques et pourtant éphémères, eux aussi…

Tout est magnifique et dérisoire à la fois…

Tout autour du phare de la pointe nord de l’estacade, des pêcheurs blasés lancent nonchalamment leurs lignes… Notre présence semble à peine tolérée, comme si le « spot » leur appartenait…

Un nuage de mouettes gravite au-dessus d’un petit chalutier qui semble toiser les amateurs dépités par la maigreur de leur pêche à pieds secs…

Des chevaux galopent sur la plage, un hélicoptère « Agusta » va se poser sur le terrain militaire de « Lombardsijde » jouxtant le chenal du port… Les buildings érigés en front des cités balnéaires regardent fièrement l’horizon…

Des caillebotis s’immiscent dans les dunes, où quelques loueurs de cabines en bois blanc profitent du soleil de fin d’été…

Nous dégustons une assiette de croquettes de crevettes chez « Ricardo », à la limite Ouest de la digue, avant de reprendre la route qui, pour une fois, déroule son ruban gris sans encombres majeures vers notre nid douillet ou la literie, il faut l’admettre, est bien meilleure qu’à l’hôtel…

Mon sentiment, sur le retour, ressemble aux marées… Je vis… La vie tantôt me berce, tantôt m’agite, au gré des courants et des cycles lunaires… Il est inutile de s’inquiéter, il est bon d’accueillir la vie, la nature, et de ne pas progresser à contre courant, au risque de se noyer…

Tiens, ce soir, c’est la pleine lune…

Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »

21 septembre 2021

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