011 – Chronique d’artiste: « 50 ans d’art » – Yvette SOHY (région Huy).

Je ne vous parlerai pas du parcours de vie de ma maman (si si, c’est elle…) car c’est du ressort privé et je suis mal placé pour cet exercice. Je souhaite simplement la mettre à l’honneur en tant qu’artiste, du point de vue de ma perception, de mon ressenti face à son Oeuvre pluridisciplinaire sur cinq décennies.

Yvette SOHY est une artiste dans l’âme… Elle est autodidacte, bien qu’elle ait fréquenté certaines académies (Namur et Huy) lui permettant de peaufiner quelques unes de ses techniques qui sont nombreuses et cela est à souligner.

Déjà fin des années septante, elle se démarque comme portraitiste. En 1983, elle réalise gratuitement ses premières esquisses, notamment sur le littoral belge (j’y étais avec ma soeur…), au bon gré des passants qui honoraient quelques fois son travail d’un petit billet.  Ces candidats furent cueillis sur la digue de Blankenberge (près du Pier, car « au Pier, c’est mieux », disait-elle en riant). Parcourant les foires et marchés artisanaux durant des années, Yvette réitère ces expériences tant la finesse de son coup de crayon ou de fusain émerveille ceux qui ont souhaité être « croqués » sur le vif.

Au fil des années, Yvette réalise sur base des techniques de fusains et de crayons pastels, des compositions que je qualifierais de magistrales. Ludwig Van Beethoven, Herbert Von Karajan, Jacques Brel, Johnny Halliday, Jean Ferrat, Georges Brassens, Romy Schneider, John Wayne, et d’autres, furent magnifiés… Enfant, adolescent, je l’ai souvent observée créer sur papier, tard dans la soirée, après sa journée de travail et les tâches familiales accomplies. Chaque journée était trop courte pour contenir son emploi du temps chargé…

Jamais rassasiée, Yvette (maman) créait, multipliant et expérimentant diverses techniques. Peinture à l’huile, au pinceau ou au « couteau », à la pâte d’Arwi » (pâte blanchâtre souple et auto-durcissante à l’air libre), tout support ou technique devenait prétexte à la création. Certaines oeuvres furent détruites par le feu, sous mes yeux… Insatisfaite, Yvette ne voulait plus ou ne pouvait plus les voir… Les artistes sont animés d’une vie intérieure si intense que toutes leurs émotions sont décuplées, exacerbées. Le perfectionnisme est également un des responsables, probablement…

En 1985, le prix du « Millénaire » de la ville de Huy fut décerné à Yvette pour un tableau réalisé pour l’occasion. Ce prix fut décerné par l’échevin Jean Joachim à l’issue du marché annuel de la « Sainte Catherine », fin novembre. Huy et ses « Merveilles »  (Li Pontia, Li Bassinia, Li Tchestia, Li Rondia) furent sublimés par plusieurs techniques conjuguées, dont du fil d’étain (« Les Postainiers hutois »), le tout encadré d’une épaisse moulure en bois gris… Il y eut un acheteur, et à ce jour, nul ne sait où réside ce tableau, malheureusement… (cf photo ci-dessous)

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En 1988, lors du gala hutois commémorant les dix ans du décès du chanteur Jacques BREL (maison de la culture de Huy), une composition de portraits et postures de la vie scénique de BREL, réalisée au fusain par Yvette (plus de septante heures de travail), fut vendue aux enchères au profit de la Fondation BREL pour la recherche sur le cancer (cf photos ci-dessous). Elle doit cette participation à son ami Jean-Pierre Dejasse (que je salue chaleureusement).  Un autre ami de longue date, Henri-Claude Micheroux (le sosie du Roi Albert II) n’était pas très loin non plus, comme souvent…

Dès les années nonante, Yvette veut encore et toujours créer, mais cette fois dans la troisième dimension. Elle fréquente alors assidûment l’atelier de sculpture sur petit granit à « Les Avins » en Condroz où elle côtoie d’autres artistes et néanmoins amis tels que Gaston CHARPENTIER, Marceau BERTHEJacques BOUCHAT, Michel SMOLDERS, Cecco CIGLIA (maître des lieux), et d’autres, qui l’avaient affublée de l’alias de « Libellule », insecte qui date de l’ère carbonifère…

Je dois dire que là aussi, je m’y suis essayé (au petit granit), sans grand succès mais avec beaucoup de plaisir tant le lieu et cette technique étaient fascinants pour l’adolescent que j’étais. Mon plus grand plaisir était de partager ces moments avec ma maman, et tous ces personnages singuliers, faut-il l’admettre… Et puis, l’odeur du petit granit taillé évoque une incomparable odeur amoniaquée que seuls les sculpteurs connaissent…

Yvette SOHY maîtrisa cette nouvelle technique rapidement, après quelques essais sur blocs « YTONG », plus friables. « La sculpture est au coeur de ce bloc de pierre, il suffit juste de la révéler« , disait-elle. Elle en a révélé, des sculptures (et ne lui parlez pas de statues!) dans des blocs de pierre, et non des moindres…

Dans la maison de mon enfance et de mon adolescence (sise en centre ville de Huy), maman avait baptisé son atelier situé dans le jardin (un ancien atelier de torréfaction) « La Rodinette », nom inspiré du célèbre sculpteur « RODIN ».

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Elle réalisa en 1993 une sculpture de « Sainte Yvette » qu’elle offrit au quartier du même nom, derrière la Gare du Nord de Huy. Inaugurée par le Bourgmestre Anne-Marie LIZIN, cette sculpture figure toujours (depuis 25 ans) en bonne place au même endroit, non sans avoir été quelque peu malmenée quoique toujours intacte.

Le plus gros bloc de granit auquel elle s’est attaquée et dont j’ai été le témoin (et assistant durant plusieurs semaines…) avait une masse de treize tonnes. Il en demeura huit lorsque l’oeuvre fut achevée, après six mois de dur labeur à Sprimont, sur le terrain jouxtant le Musée de la pierre, lieu d’un symposium annuel et international auquel elle a également participé. J’ajoute que lors de ce chantier phénoménal, elle a même séjourné sur place, sous tente, un certains nombre de fois, pour s’épargner les trajets. Les ouvriers de la carrière s’en souviennent, de cette attraction « féminine! » Il fallut un pont roulant pour retourner la masse de pierre, au fil de la réalisation.

Il faut dire qu’Yvette (maman), elle a une très grande sensibilité, mais elle a aussi une inextinguible détermination, un courage et une résilience qui frisent l’indécence! C’est toute sa vie, ça… Le granit le savait, et il s’est laissé approché, domestiqué, taillé jour après jour, par les mains et le coeur de cette artiste qui ne lui voulait que du bien. Ce bloc de pierre comme les autres allait devenir lui aussi une oeuvre Magistrale qui fut transportée par convoi exceptionnel et installée au centre d’un rond-point à Huy, aux Récollets, à l’angle de l’avenue Albert 1er, de la chaussée de Liège et de la rue Saint-Pierre (cf photos ci-dessous).

Baptisée « OSMOSE », cette énorme sculpture figure les éléments sidérurgiques que sont le feu, l’eau et la matière. Le rond-point qui l’héberge depuis 1997, garni de rails de chemin de fer, rappelle l’échangeur ferroviaire qui jadis existait à cet endroit, non loin du terminus situé place Zénobe Gramme (gare de Huy).

Vous pourrez admirer d’autres réalisations d’ Yvette SOHY notamment au square « HENRION » (le long de l’avenue Delchambre) où est posé un bloc de pierre sur lequel elle sculpta un bas relief destiné au « Comité blanc », fin des années nonante (1998), en mémoire à la triste affaire judiciaire « Julie & Mélissa ».

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La façade de la salle des fêtes « la Croisée« , rue du Bois Marie à Huy, présente également une oeuvre en petit granit (2004).

Le CES de Huy (Centre d’Economie Sociale, appelé aussi le Centre Nobel de Tihange) présente une oeuvre (« Chrysalide ») conséquente qui trôna un temps dans le jardin privé du domicile de l’artiste, à l’époque.

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Ma terrasse privée est honorée, elle aussi, d’une oeuvre de maman, « La femme oiseau » (cf photo ci-dessous).

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Le dénominateur commun de toutes les oeuvres d’ Yvette SOHY est incontestablement la finesse, les textures, l’élégance et les courbes, ce qui confère à la matière brute qu’est la pierre bleue une pureté, une douceur, une vie…

Au fil du temps et des aléas de la vie, Yvette fut contrainte à moins d’espace de travail artistique et se consacra dès lors à de moins imposantes réalisations. le « Livre » fut mis à l’honneur sous toutes ses formes, dans du grès de Fontenoille (près de ChassepierreGaume), un pierre plus brunâtre. Des livres personnalisés, des gros, des petits… Une des plus belles compositions de ce genre orne, depuis quelques années, l’entrée de la nouvelle bibliothèque d’Amay (ancienne gare – cf photo ci-dessous – 2018).

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En 2006, elle exposa conjointement à d’autres artistes, aux côté de Roger SOMEVILLE, au château de Jehay, à l’occasion et au profit du Télévie.

A l’heure actuelle, Yvette, maman, dont les cheveux brillent d’un blanc éclatant, s’est confinée dans sa petite mais très intimiste maison, où elle se consacre à l’illustration, au dessin très fin, dans un nouveau style très inspiré de la nature. Elle excelle à nouveau dans cette technique et m’a fait l’honneur d’illustrer la couverture de mon premier essai intitulé La mort dans l’âme et publié en auto-édition en avril 2016.

Vous l’aurez sans doute déjà croisée du temps de son commerce d’encadrement spécialisé (durant 30 ans), ou lors d’une exposition locale, ou n’importe où ailleurs… Je pense qu’elle a bénéficié, en tant qu’artiste, de trop peu de reconnaissance officielle, raison pour laquelle il était plus qu’évident de lui consacrer une chronique sur mon modeste blog.

Etre le fils d’une telle artiste, une telle personnalité, a été une véritable épopée mystique. J’ai été « trimballé » (mais volontaire!) dans d’innombrables lieux d’Art, d’Exposition, de Création, d’Amitié, que je suis devenu un initié… (un peu barge aussi…)

J’avais quatorze ans, je me rappelle l’avoir accompagnée à l’orée des bois, ou des champs, peu importe la météo, car elle avait décidé de figer au pastel, sur papier Canson, les premiers rayons du soleil… Ce sont des souvenirs et des moments suspendus, magiques, lors desquels on peut vraiment sentir la Vie qui nous habite… (et aussi le froid…)

Un jour son père (mon grand-père Lambert SOHY) lui demanda: « Pourquoi t’acharnes-tu sur cette Pierre? », ce à quoi elle lui répondit: « Pourquoi plantes-tu tes fleurs? Dans quelques jours elles seront fanées… »

A ses parents, pour leurs noces d’Or, elle réalisa une sculpture coulée en Bronze (à Visé) représentant un couple enlacé. Le Bronze, une nouvelle technique exigeante, une fois encore… Un nouveau défi réussi, pour l’artiste…

Un demi siècle consacré à l’Art, même si elle n’en a pas gagné sa vie, représente à mes yeux, moi qui suis son fils, une démonstration de vie spirituelle incarnée dans la matière… Une vie contrariée souvent, mais une vie puissante, déterminée, criant parfois à l’injustice mais surtout, à l’Amour…

Merci pour Tout, Maman,

Merci de m’avoir fait vivre cette vie, la tienne, la mienne, la leur…

Merci l’Artiste, une très Grande Artiste,

Vincent Poitier, alias « le Pensiologue »,

12 mars 2020

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