001 – Chute libre

Aerial Free Fall – Chute libre

(octobre 2013 – parachute)

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Octobre 2013, un vendredi en début de soirée, aérodrome « La Sauvenière », dans les faubourgs de Spa, Belgique…

La nuit tombe, il fait très frais. Je pénètre à l’accueil du « Sky Dive Center ». La formation théorique du premier saut « AFF » (aerial free fall) va commencer. Cette préparation essentielle est le prélude au grand saut que je ferai le lendemain matin, depuis un petit avion « Cesna Caravan », à quatre mille mètres du sol, en solo, ou presque…

Cette expérience unique est un cadeau de mon ami d’enfance, Alexandre, et son épouse Katty, à l’occasion de mes quarante ans, quelques mois plus tôt.

L’instructeur, Jack, un quinqua comptabilisant quelques milliers de sauts, nous enseigne durant quelques heures les rudiments théoriques de la chute libre, avec beaucoup de sérieux, ce qui me fait prendre conscience que ce sport extrême n’est pas sans danger…

Mesures de sécurité, météorologie et topographie locales, vents dominants, altimètre, orientation dans le ciel, ouverture du parachute de secours (comment !? de secours !) bref, comment se dépêtrer, seul, d’un incident peu probable mais toujours possible, et atterrir sain et sauf, sur la plaine verdoyante de l’aérodrome…

Le lendemain matin, samedi, un épais brouillard semble vouloir ruiner toute chance de décollage… Deux degrés sous zéro au sol, à la première heure, et probablement quinze de moins à quatre mille mètres d’altitude… J’avoue que j’avais omis ce paramètre non négligeable…

Premier vol test vers dix heures et trente minutes, ça passe. Le ciel s’ouvre enfin et les rayons du soleil illuminent la plaine.

Quatre heures d’attente, à répéter encore et encore, sur une planche à roulettes, le « drill » étudié la veille au soir.

Le tableau d’affichage électronique mentionne mon nom pour le prochain vol aller. C’est bien la première fois que j’envisage un aller simple sans atterrissage en avion…

Gants, casque, sac à dos contenant les deux parachutes, combinaison, tout est prêt, je suis équipé…

Laurence (ma compagne), Pierre et Chloé (mes enfants), perçoivent le stress qui me gagne et néanmoins, une grande excitation… Je suis toujours resté un enfant, pour ce genre d’expérience. M’émerveillant à la moindre occasion, un peu « border line », quelques fois… L’adrénaline me rend vivant et heureux.

Assis sur le sol de l’avion, en tête d’une douzaine de trompe-la-mort, nous décollons et profitons de l’ascension de quinze minutes, temps nécessaire pour atteindre le plafond de quatre mille mètres (douze mille pieds).

L’air se raréfie et la pression atmosphérique chute, à mesure que nous nous élevons dans le ciel, au-dessus d’un tapis de nuages épars.

Mon altimètre indique « 4000  mètres ». Le volet latéral du  » Cesna » se lève, indiquant que le moment décisif est arrivé. Je suis au bord du vide, le genou gauche posé sur le plancher de l’avion, un instructeur posté de part et d’autre de moi-même, le caméraman debout sur le patin de l’avion, agrippé à une barre métallique sur le toit. C’est surréaliste…

La vue est exceptionnelle ! Le bruit du moteur cumulé au vent qui me fouette est assourdissant !

Pas le temps de me poser trop de questions. « Check » à gauche, « check » à droite, dans les yeux de chacun des instructeurs tout dévoués à ma cause. « Ready », « Set », « GO » !

Je plonge dans le vide, vers l’avant de l’avion, dans le vent relatif, et stabilise immédiatement ma chute en cambrant le dos, les bras écartés dirigés vers l’avant, les genoux légèrement pliés.

La sensation de tomber dans le vide n’a duré que quelques instants. A présent je vole ! Je vole !… Je tombe vers le sol à une vitesse avoisinant les deux-cents kilomètres par heure…

Mes joues sont secouées par la pression sur l’air, à cette vitesse.

Premiers tests de conscience, « check » à gauche et à droite, mes instructeurs (qui « chutent » à mes côtés) lèvent leur pouce en signe de vérification. Coup d‘œil sur l’altimètre qui affiche trois mille et cinq-cents mètres. Je viens de chuter de cinq-cents mètres en moins de vingt secondes !

Premier test de poignée destiné à préparer l’ouverture du « hand deploy » (petit parachute entraînant, lorsque je serai à deux mille mètres, l’ouverture du parachute principal). Ce « bouchon » en plastique est situé vers le bas et à droite de mon sac à dos contenant la précieuse toile, seule garante de ma vie, à présent (bien qu’il existe un parachute de secours que j’espère ne jamais devoir ouvrir, vous vous en doutez…).

Tout se passe à merveille. Je profite de la vue fantastique…

A cet instant, ma vie prend tout son sens. Ce moment, à lui seul, justifie tous les méandres parcourus jusqu’à ce jour.

Mon taux d’adrénaline redescend légèrement, à l’inverse de la pression atmosphérique. L’altimètre indique deux mille et sept-cents mètres, à présent. Nouveau « check », nouveau test de poignée. Tout est « OK ».

Je vais me retrouver livré à moi-même dans une poignée de secondes, lorsque j’ouvrirai ma toile. Deux mille et deux-cents mètres. Je tourne la tête de gauche à droite quelques fois afin, selon le code convenu, d’annoncer que je suis bien conscient de mon altitude et que je suis prêt à ouvrir mon parachute.

Il s’est écoulé cinquante secondes depuis que je me suis élancé de l’avion. C’est trop court, j’en veux encore, mais je dois me résigner à la procédure et ouvrir ma toile…

Altimètre, deux mille mètres. J’ouvre et referme les bras à trois reprises afin d’indiquer le « wave off » (fin de la vague ?…) à mes instructeurs, qui s’écartent de moi, au moment où je saisis la poignée du « hand deploy » que je jette sur ma droite, et qui entraîne la précieuse toile.

La décélération violente provoquée par l’ouverture du parachute est de l’ordre de deux-cents à zéro kilomètre par heure en quatre à cinq secondes. Le sac à dos enserrant mes bras et mes cuisses est résistant (encore heureux…). Tout mon corps est secoué, mes jambes sont brusquement balancées à l’horizontale…

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Me voilà suspendu dans le ciel, à mille-cinq mètres d’altitude. Le calme fait place à la tempête provoquée par la chute libre. Le temps s’est arrêté… Le soleil est lumineux…

Pas le temps de rêvasser, je lève les yeux au-dessus de moi et vérifie, comme il est également prévu, qu’au minimum cinq cellules sur les sept que compte la toile, se sont gonflées, et que le « glisseur » (petite toile rectangulaire destinée à « détricoter » les suspentes) s’est placé correctement.

Je dégrafe mes deux poignées de commandes de direction. Je suis en sécurité, pour le moment… Encore me faut-il localiser la plaine d’atterrissage, en me référant à la position du soleil par rapport à ma lente descente. Des nuages tapissent le ciel, sous moi, mais je repère aisément l’aérodrome, qui a la taille, vu d’en haut, d’une feuille de papier au format A4…

Je prends le temps de souffler, je profite de l’instant, porté par un vent léger et froid qui me fait dériver en douceur. Les minutes s’égrènent…

Soudain, à ma grande surprise, je suis avalé par un gros nuage, cotonneux, tout blanc… de l’ouate…

Je ne distingue plus le sol… tout est blanc, dans toutes les directions… Je ne m’inquiète pas, je suis tout de même à neuf-cents mètres du sol, si j’en crois mon altimètre, seul repère auquel je peux encore me fier à présent…

Je suis seul, tout seul. Plus de repère visuel, plus de notion de temps… Je n’ai conscience que du moment présent… Je me trouve dans une antichambre, et mon âme est légère… je me sens bien, heureux, comme sans doute jamais auparavant… Ma vie fait une pause, et plus rien ne compte, à cet instant… même pas la notion de sécurité… or, le sol s’approche, à moins que ce ne soit moi-même qui m’en approche…

En effet, un grésillement, des bribes de voix masculine, dans l’oreillette dont on m’a équipé et dont j’avais, jusque là, ignoré l’existence, me rappellent à la réalité…

Sept-cents mètres… il est temps de se « réveiller »…

Je l’apprendrai plus tard, mais au sol, c’est l’inquiétude… Laurence et les enfants ont distingué une tâche de couleur dans le ciel, lorsque ma toile (aux couleurs américaines) s’est déployée, mais ensuite, j’ai disparu dans la masse nuageuse durant trois minutes, ce qui a suscité un certain émoi…

Je l’ignorais, mais le vent dominant avait changé de direction, le ciel s’était refermé, m’absorbant dans mes pensées, tandis que des vents d’altitude me faisaient dériver et risquaient de me porter au-delà des limites de la plaine de l’aérodrome…

Je dus tournoyer quasi à l’horizontal afin d’accélérer ma descente, sur le conseil de mon ange gardien qui me parlait dans l’oreille droite.

Je distinguai enfin, sous mes pieds, une nature verdoyante, sous un ciel maussade, alors que je ne fus plus qu’à moins de quatre-cents mètres du plancher des vaches… L’absence de bovins me rassura, par ailleurs, sur la nature du sol que j’allais aborder.

Faisant fi de toute la procédure d’approche devenue obsolète tant les paramètres s’étaient modifiés au cours de ma descente, j’atterri enfin, à deux-cents mètres des forêts de conifères, caractéristiques de nos chères Ardennes belges…

L’atterrissage ne fut pas très académique, voire un peu rude, mais s’effectua sans dommage…

Je ne sais si je fus soulagé ou déçu, à cet instant. Les contrastes de cette aventure épique et féérique furent si violents, que le sentiment qui m’habitait était mitigé…

Je tentai de regrouper tous les pans de mon immense toile et les emmenai en marchant vers mes trois spectateurs (Laurence, Pierre et Chloé), rassurés sans doute de me voir indemne et heureux… heureux, de rejoindre les êtres qui comptent le plus pour moi, et qui m’avaient accompagné pour assister, comme le chantait William Sheller, un homme qui voulait être heureux…

A Alex et Katty…

Merci…

Vincent Poitier, alias « le Pensiologue« ,

20 février 2015

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