127 – Chronique fluviale: « En cale sèche » (chantier naval – Seilles)

  • « Maman, les pt’its bateaux, qui vont sur l’eau, ont-ils des jambes? »
  • « Mais non, petit bêta, s’ils en avaient, ils marcheraient! »

Cette chansonnette que me chantait ma maman dans les années septante, ne précisait cependant pas qu’il existait des chantiers navals aux alentours de Jambes (Namur et Andenne).

Mais alors, qu’il y a-t-il sous les jupes des péniches? (à part de l’eau…)

Pour le savoir, je me suis rendu avec Laurence aux abords du site de AndenneSeilles du chantier naval « Meuse et Sambre » SA (depuis 1906 à Beez-lez-Namur), où l’on construit, entretient et répare les péniches et bateaux de croisières d’une longueur maximale de 135 mètres et d’une masse maximale de 1000 tonnes. On peut y stationner en cale sèche 9 de ces mastodontes d’acier, d’aluminium et d’inox, extirpés du milieu aqueux mosan le long d’énormes rails pour être installés, parallèlement au cours d’eau, en cale sèche sur le site du chantier…

Ce paysage industriel atypique et très spécifique fait partie du groupe « Meuse et Sambre » SA depuis 2020 et se trouve actuellement en danger de faillite malgré un cahier de commande bien rempli (cf sites de presse) et occupe une septantaine de personnes qui espèrent rapidement un repreneur, ce qu’on leur souhaite vivement, d’un point de vue socio-professionnel mais également, de mon point de vue, pour la préservation de ce patrimoine industriel mosan séculier…

Et pour cause, la Belgique est un des pays européens les mieux équipés du point de vue de sa densité de réseau fluvial intérieur avec 1532 km de voies navigables.

60% du réseau fluvial belge est accessible aux bateaux de 1350 tonnes et plus, pour un nombre de « bâtiments » qui avoisine les 1200, comprenant les cargaisons sèches, les bateaux citernes et les pousseurs…

Toutes cette flotte nécessitant des entretiens et réparations diverses, comme tout véhicule à moteur, fut-il sans roue en l’occurence…

Les colossaux travaux actuellement en cours à l’écluse de Ampsin-Neuville (Huy) témoignent de l’importance du trafic fluvial en Belgique, territoire traversé de toutes parts par les bateliers, délestant par la même le réseau routier déjà dense et congestionné…

Hutois de souche, j’ai toujours adoré regarder passer les bateaux, surtout dans les écluses…

En effet, rien ne peut être précipité, tout va lentement, sans que l’on ne puisse rien faire pour accélérer la « manoeuvre », et cela est apaisant…

De plus, la navigation est tributaire des conditions de précipitations pluviales, des débits des cours d’eau mesurés par le SPW (Service Public de Wallonie), et cette dépendance aux éléments me plaît…

Il en est de même sur un chantier naval où tout est démesuré mais progresse lentement…

L’oxydation des métaux, le bruit des postes à souder, l’odeur des vieux matériaux, des hydrocarbures, des relents de l’eau la Meuse, confèrent à ces lieux une connotation vintage qui tranche avec la folle course mondiale économique…

Cette course qui fait planer le joug de la faillite sur une activité noble et pourvoyeuse d’emploi et de savoir faire…

Gageons que les dieux mosans intercéderont en faveur de cette entreprise qui fait partie intégrante du panorama de notre bassin fluvial, qu’on soit andennais ou hutois, car nous sommes tous « fils » de Meuse…

Vincent Poitier, alias « le pensiologue »

15 février 2022.

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