139 – Chronique/interview d’une figure hutoise: « Maxime Riguelle »(80) dit « Max », ancien président des industriels forains de Wallonie.

Introduction, présentation.

Lorsque j’étais enfant et adolescent, j’adorais assister, chaque année au début du mois d’août à Huy, sur la rive droite de la Meuse, au montage des métiers forains. Cela me plaisait bien plus encore que d’aller sur les manèges… C’est toujours le cas à l’approche de mes cinquante ans… J’en ai même fabriqué assez grossièrement et artisanalement en bois, dans les années 80…

J’ai participé au montage de plusieurs gros manèges, recruté « sur le pavé » par des industriels forains auprès desquels je me manifestais spontanément dès l’arrivée de leurs roulottes.

Les circonstances de vie m’ont amené à faire la connaissance de plusieurs membres de la famille RIGUELLE, de près ou de loin (mais plus souvent de près), et au détour d’un comptoir, je suis retombé sur le patriarche, le sieur Maxime alias « Max »

Un hutois enraciné sur ses terres natales depuis huit décennies, et bien qu’ayant vécu une vie de nomade, son coeur est resté « sédentaire », comme on dit dans le milieu.

Un caractère bien trempé habitant un corps à la stature imposante, Maxime RIGUELLE est un personnage singulier, ayant des principes, des valeurs, et une certaine autorité au sein d’une corporation qui demande le respect de certains codes et surtout de la parole donnée au cours de négociations…

Avec Francine, son épouse depuis bientôt soixante années, ils perpétuent les traditions familiales depuis plusieurs générations, et leurs enfants et petits enfants n’y ont pas échappé non plus, à deux exceptions près…

Ce cocktail humain ne pouvait que nourrir mon envie de mettre à l’honneur, humblement, ce personnage hutois, et à travers lui, une profession, que dis-je, une institution, qui n’a pas toujours bénéficié d’un regard bienveillant, et ce à tort, la plupart du temps… (certains préjugés ont parfois la dent dure…)


L’interview de Max.

Photo personnelle

Bonjour Max, et merci de m’accueillir chez toi et d’avoir accepté (hier après-midi) spontanément de jouer le jeu de l’interview sur mon blog.

Question 1: Le monde forain, tu es tombé dedans quand tu étais petit, comme dirait Obélix? (sourire)

Réponse 1: Oui, depuis six générations, et mes enfants suivent, hormis deux de mes six petits enfants qui ont choisi une autre vocation.

Question 2: Tu es un hutois de souche?

Réponse 2: Je suis né à Huy, à la clinique Reine Astrid (CHRH actuel), le 30 juin 1942. Je suis un hutois de souche! J’ai vécu en roulotte depuis ma naissance jusqu’à ce que je me marie avec Francine, en 1963, cinq ans après quoi nous avons acheté notre maison où nous vivons toujours aujourd’hui, à Tihange bas. Lorsque j’étais enfant, j’allais à l’école six ou sept mois par an et le reste du temps, j’étais sur les foires. J’allais à l’école d’Outremeuse où j’ai eu des instituteurs exceptionnels qui m’ont donné des cours particuliers en complément.

Question 3: Tu as été Président des forains pour la Wallonie. Comment est-ce arrivé? Combien de temps as tu porté cette fonction?

Réponse 3: Peu avant mon mariage, j’avais acheté mon premier carrousel pour enfant (un moulin, comme on dit), et j’ai fait les foires de villages en région et même ensuite sur Charleroi, Liège, les Ardennes. De fil en aiguilles, j’ai incorporé des foires plus importantes. On devait acheter son emplacement par adjudication, ce qui n’était pas toujours simple. J’ai connu Francine que j’avais cinq ans, alors qu’elle était bébé. Elle était aussi issue du milieu forain mais ses parents avaient arrêté les foires elle a travaillé six mois dans des assurances. Elle était intelligente! Je l’ai courtisée et « dévoyée », et elle a accepté de me suivre sur les foires. Je crois que je l’ai un peu « embobinée », car les débuts étaient difficiles (sa moustache frise...). J’ai acquis ensuite une baraque à Hot-Dogs en 1969-1970. Mon grand-père maternel était Camille FOULON. Tout le monde se rappelle des petits canots, sur lesquels étaient inscrits les prénoms des petits enfants. Ce manège, il l’a construit lui-même avec sa femme, dans les années 1930, devant la gare de Amay. J’ai toujours adoré mon métier et vers l’âge de cinquante ans (début des années nonante), avec des collègues Bruxellois et Flamands, nous avons créé un genre de « syndicat », des fédérations d’industriels forains, et je suis devenu le premier Président pour la Wallonie, ce qui avait pour but de négocier plus justement et de manière encadrée avec les autorités pour harmoniser la gestion des emplacements et sortir d’adjudications. C’est un milieu où il existe de fortes rivalités, il faut le souligner… Je suis resté Président durant dix années.

Question 4: Quelle évolution as-tu pu constater au fil des décennies, au sein de la corporation des industriels forains? Cette profession a-t-elle beaucoup changé?

Réponse 4: La mentalité à évolué depuis cinquante ans. Un forain est un entrepreneur aujourd’hui, et la technologie a évolué comme dans tout. Les investissements aussi. Moi, j’ai toujours voulu rester dans des petits moulins, je savais bien ce qui marchait et nous gagnions bien notre vie ainsi. Les nouvelles générations de jeunes gens ont des intérêts différents et se détournent par exemple des auto-scooters, de nos jours. Beaucoup de petites foires de villages ont disparu ou tendent à disparaître avec les comités locaux qui sont à l’origine de ces initiatives…

Question 5: Tu es une figure très connue à Huy (parmi d’autres), de même que ta famille. Quel regard portes-tu sur la ville de Huy, aujourd’hui?

Réponse 5: Je suis attaché à Huy. Pour moi, c’est la plus belle ville du monde! Quand je suis parti deux ou trois mois en voyage, il faut que je revienne ici, c’est plus fort que moi. J’ai beaucoup voyagé dans ma vie, mais mon coeur reste à Huy! Je suis un peu déçu par les mentalités actuelles. On a beaucoup décentré le commerce en périphérie, et le coeur de la ville a perdu un peu de son identité, c’est dommage… Dans le temps, c’était une ville bourgeoise, il y avait beaucoup de fortunes, de l’industrie, mais aujourd’hui, tout ça a bien changé…

Question 6: Quelles sont les valeurs humaines que tu défends « bec et ongles »?

Réponse 6: Rester soi-même, et être honnête avec soi-même… Le respect, la solidarité…

Question 7: Une anecdote un peu croustillante, pour clôturer notre entretien?

Réponse 7: Il y a quelques années (une petite vingtaine), une bande de jeunes casseurs de la région liégeoise sont « descendus » sur la foire de Huy, le 15 août. J’ai appelé personnellement Anne-Marie LIZIN, et rapidement, on a eu tous les policiers disponibles (une trentaine) sur place pour calmer les esprits, solidairement avec les forains qui voulaient également éviter les débordements. Le chef de corps en personne, monsieur Lambert, était sur place également avec ses hommes… Des anecdotes, il y en a de trop, on pourrait y passer des heures!

Merci Max! Merci de ton accueil et de ta confiance.

Oh ça, si je n’avais pas confiance en toi, tu ne passerais pas le seuil de ma maison, sois en sûr! (rires)


Débriefing.

J’aurais bien aimé avoir les réponses de Francine, également, car elle est, elle aussi, une figure hutoise… Mais malheureusement, elle n’était pas disponible pour l’occasion, me confie Max

Francine est une femme de caractère aussi, et il en faut dans ce milieu! Et puis, pour partager la vie de Maxime, c’est indispensable… Elle est souriante et chaleureuse, pour autant qu’on ne lui écrase pas les pieds!

La vie n’a pas toujours épargné cette grande famille, mais la vie n’est ni juste ni injuste, elle est ce qu’elle est… Entre le rose et le noir…

Je suis heureux de leur rendre hommage, ainsi qu’à toute cette profession dont j’ai eu l’occasion de rencontrer un bon nombre de ses représentants…

A l’âge de 17 ans, j’ai assisté au montage du plus gros « manège » qui se soit installé à Huy, il me semble. Le « Splash », une rivière sauvage propriété de monsieur Besanger. Une installation qui dura 48 heures, en ce compris le remplissage d’eau des bassins. Monsieur Besanger en personne avait remarqué ma présence. Il était 4 heures du matin, et il était venu à ma rencontre, faire un brin de causette, interloqué de me voir là à cette heure de la nuit… Très sympathique…

Maxime RIGUELLE en aurait fait autant, à sa place, j’en suis persuadé. Mais aujourd’hui, c’est moi qui me suis intéressé au personnage, à cet homme qui a vécu une longue vie et qui aime sa terre natale, au moins autant qu’il a aimé son métier et qu’il l’aime encore…

Merci Max, merci Francine, merci aux industriels forains de continuer, à travers les âges, au travers des crises sociales, de monter et démonter inlassablement leurs établissements nomades et de faire briller les yeux de nos enfants, à chaque tour de manège…

Vincent Poitier, alias « le pensiologue »

26 avril 2022.

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