


La misère est-elle réellement moins pénible au soleil? (Charles Aznavour) Allez savoir…
Nous sommes allés, Laurence et moi-même, nous en rendre compte sur place, en Afrique noire, Au Sénégal, à quelques dizaines de kilomètres de Dakar, à cinq mille kilomètres de chez nous, du 12 au 19 octobre 2023.
Pour sûr, le contraste avec notre vie d’européen de l’ouest saute aux yeux dès la sortie de l’aéroport de Dakar. Un très vieil autocar rouillé, n’ayant plus d’âge ni de couleur, fait l’objet de réparations sommaires sur l’aire de « dépose-minute », tandis que pas moins de huit ouvriers oeuvrent à une réfection « artisanale » du goudron à quelques mètres de là, par une chaleur moite à faire pâlir un ouvrier de la coulée continue des anciennes forges de Clabecq…
L’autocar bleuté affrété par notre Tour Opérateur est un peu dans son jus également. Nos valises sont chargées sur le toit de ce dernier, et nous espérons ne pas en perdre une en cours de route.
Le trajet menant à l’hôtel de Saly est déjà une excursion en lui-même. La route goudronnée est correcte durant les premiers kilomètres et grouille d’activités et de moyens de transports divers. Tout est typique, voire atypique, et source du moindre revenu. Les codes de circulation sont plus ou moins aléatoires mais semblent fonctionner parfaitement, l’état des voiries (quand elles existent) fait le reste. Impossible de faire de la vitesse… Nous sommes ballotés par les innombrables cahots auxquels est soumis notre « lift », ralenti (quel euphémisme) par les nombreux attelages locaux dont les bêtes de somme elles-mêmes trahissent l’état du pays…




Au bout de deux petites heures, nous accédons à notre hôtel, « Complexe les Filaos », « planté » au milieu de ce cadre aride tel un oasis touristique, ce qui dénote également mais nous rassure, il faut bien l’admettre.
Dès cet instant, je pense que nous avons sué à grosses gouttes durant huit jours, à l’exception de notre chambre climatisée… Nous marchons sur la plage bordant l’océan atlantique nord, au-delà de notre zone hôtelière, et rapidement nous sommes repérés par les villageois dont Abdulaye, un guide local « certifié », qui nous aborde avec tact, affichant un sourire partagé par la majorité des habitants tout au long de notre séjour.
C’est donc avec lui que nous négocions une excursion en pirogue motorisée vers le port de pêche le plus important de la région, à M’Bour, à vingt minutes de cabotage de notre position.
Samedi 14 octobre, troisième jour de notre présence à Saly, après avoir changé nos euros en francs CEFA (1€ = 656 FC), nous embarquons à même la plage dans la pirogue colorée et au confort très précaire avec Abdulaye et le « pilote ». Nos « Birk » (sandales) pataugent dans un fond d’eau et d’hydrocarbure et un gilet de sauvetage soulage nos fessiers sur la petite banquette en bois rouge.
La côte est jalonnée d’hôtels abandonnés depuis huit ou neuf ans, nous explique notre sympathique guide. La plupart des infrastructures sont très dégradées et offrent un paysage interpellant.




Les centaines de pirogues de divers gabarits augurent une forte fréquentation à M’Bour. Nous accostons sur la plage parmi cette foison d’esquifs et de pêcheurs dont certains nous saluent voire nous hèlent gentiment. Nos bracelets orange fluo « All In » trahissent notre condition mais Abdulaye nous rassure par sa présence qui dissuade toute velléité de commerce de leur part à notre égard.
Les odeurs nauséabondes du poisson, des détritus, des crottins de chevaux jonchant le sable sous la chaleur moite équatoriale, provoqueraient des nausées même à un pêcheur breton aguerri, à mon avis… Le spectacle est impressionnant! Les milliers de travailleurs marins, les baraquements et étals sommaires, le chantier naval, procurent un sentiment oppressant pour les touristes que nous sommes. En pleine immersion au coeur de cette activité portuaire flirtant avec le tiers monde, Abdulaye nous explique l’importance économique que revêt ce port pour les habitants de la région.
Une myriade de vieux camions attendent leur chargement de poisson, « apontés » aux quais de la halle vétuste, mais ce mot n’est même plus à exprimer. Un monceau de frigos de l’ère quaternaire, tapissés d’oxyde de fer et dépouillés de leur moteur, font office de stockage temporaire du produit de la pêche, refroidis à l’aide de glace synthétique dont je n’ai pas compris la composition et le mode d’utilisation.
Les hôtels régionaux étant fournis par ce biais, il est normal que nous soyons quelque peu circonspects au moment du buffet du soir, mais grillé, le poisson est toutefois délicieux et nous ne déplorons aucun souci intestinal particulier à l’issue de notre séjour (merci aux probiotiques quand-même…).
Une mosquée trône aux abords immédiats du chantier naval, le culte de l’Islam étant majoritaire (+/- 90%) dans cet état réputé laïc.






Au bout d’une heure de déambulation, je suis le premier dont les tripes commencent à se soulever, et nous réembarquons pour le retour, exposés à l’air marin plus frais.
Je ressens immédiatement l’impact de ce qui demeurera une expérience inoubliable, entre choc, dégoût et fascination. Je ne cesserai d’y penser encore et encore tout au long de cette journée et de toutes celles qui suivront…
Tous les sens exacerbés, confronté à cette réalité qui attise cet éveil de conscience qui me taraude depuis l’enfance, je suis conforté dans ma conviction que le monde politique, d’où qu’il soit, se fiche de notre « poire »… Mais que peut-on faire, comment améliorer les choses, et est-ce seulement possible? Peut-être pas, tant le choc culturel et économique est immense…
Je n’en sais rien, cependant, ça « troue le cul »… (en français dans le texte, pardon…)
Il nous reste quatre jours pleins pour profiter du farniente, ce dont nous n’allons pour autant pas nous priver… L’As de Pique au grand coeur me sculptera un cendrier en Tek local, Ibrahim me vendra une petite peinture sur verre d’un Baobab, et nous déclinerons un nombre incalculable de fois les tissus colorés vendus à la sauvette sur la plage ainsi que les services de pédicures non certifiés, à l’instar de leur petit matériel qui force à sourire…



Une soirée sénégalaise est organisée le dernier jour. Un groupe endiablé de joueurs de Djembé accompagnant des danseuses en habits traditionnels nous offrent un beau spectacle, ponctué par la danse inquiétante d’un sorcier qui effraya certains spectateurs.
Ce peuple a le rythme dans la peau, c’est indéniable…



J’ignore toujours si la misère est moins pénible au soleil, mais je sais que rien ne peut éteindre la flamme de vie qui luit dans les yeux d’un humain, et en particulier dans les yeux des africains qui ne sont pas avares de sourires.
Je peux toujours me tromper ou être naïf, mais je crois même que moins ils possèdent, plus ils ont à offrir… Dommage que leur gouvernement en tire profit…
Mais cela, c’est une autre histoire et certainement pas mon propos.
Vincent Poitier, alias « le pensiologue »
20 octobre 2023.
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